7

LA SECONDE LETTRE

Toubib :

 

Bomanz a collé son œil au théodolite qu’il avait braqué sur la proue du Grand Tumulus. Il s’est reculé d’un pas, a noté l’angle, déplié une carte sommaire. Il se trouvait sur le site même où il avait déterré la hache telleKurre. « Si seulement les descriptions de Nécrome étaient moins vagues ! Mettons que le flanc de leur formation se déployait par là. Logiquement, leurs troupes s’alignaient parallèlement à l’ennemi. Donc Transformeur et les chevaliers ont dû se rentrer dans le lard un peu au-dessus. J’en mettrais la main au feu. »

Une légère élévation renflait le terrain. Bon. Les trésors enfouis seraient sans doute moins endommagés par les nappes phréatiques. Mais quelle densité de végétation, en revanche ! Chênes rabougris. Églantiers. Lierre toxique. Surtout du lierre toxique. Bomanz détestait cette plante pestilentielle. Il s’est mis à se gratter rien qu’à y songer.

« Bomanz.

— Hein ? » Il a fait volte-face en brandissant sa pelle.

« Holà ! Du calme, Bo.

— Qu’est-ce qui te prend de t’amener sournoisement comme ça ? Je ne trouve pas ça drôle, Besand. Je ne sais pas ce qui me retient de pelleter ce sourire idiot.

— Ooh ! C’est pas ton jour, on dirait ? » Besand était un vieil homme mince, de l’âge de Bomanz approximativement. Ses épaules s’affaissaient dans le prolongement de son cou tendu en avant, comme pour renifler une piste. De grosses veines bleues sillonnaient le dos de ses mains. Il avait la peau tavelée.

« Mais qu’est-ce que tu espères ? À jaillir du buisson comme un beau diable ?

— Du buisson ? Quel buisson ? Ta conscience te travaille, Bo ?

— Besand, tu essaies de me pincer depuis la saint-glinglin. Pourquoi tu n’abandonnes pas ? D’abord c’est Jasmine qui me tanne, puis Takar qui m’achète tout mon stock et me contraint à le reconstituer, et maintenant c’est toi qui viens me casser les pieds ? Fiche-moi la paix. Je ne suis pas d’humeur. »

Besand s’est tordu la bouche en un large sourire qui a révélé ses chicots cariés. « Je ne t’ai jamais pris, Bo, mais ça ne veut pas dire que t’es innocent. Ça veut juste dire que je ne t’ai jamais pris.

— Si je ne suis pas innocent, tu dois en trimballer une sacrée couche pour ne pas m’avoir pris en quarante ans. Bon sang, tu ne peux pas nous faciliter un peu la vie à tous les deux ? »

Besand s’est esclaffé. « D’ici peu tu ne m’auras plus sur le dos, va. Ils vont me coller à la retraite. »

Bomanz s’est accoudé à sa pelle, a considéré le garde. Besand exsudait une douleur sourde. « Vraiment ? Je suis désolé.

— Et pour cause… Mon remplaçant pourrait être assez malin pour te choper.

— Arrête avec ça. Tu veux savoir à quoi je m’emploie ? J’essaie de deviner par où sont descendus les chevaliers telleKures. Takar voudrait des pièces sortant de l’ordinaire. C’est le mieux que je puisse faire. Sans pour autant passer la limite et te fournir un prétexte pour me faire pendre. Passe-moi cette baguette divinatoire. »

Besand lui a tendu l’objet. « Pillage de tombe, hein ? C’est à ça que t’encourage Takar ? »

Des lames de glace ont fouaillé Bomanz. La remarque n’avait rien d’anodin. « Va-t-on continuer éternellement sur ce ton ? Est-ce qu’on ne se connaît pas depuis assez longtemps pour arrêter de jouer au chat et à la souris ?

— Ça m’amuse, Bo. » Besand l’a entraîné jusqu’au monticule embroussaillé. « Il va falloir essarter le terrain. Je n’arrive plus à fournir. Manque de main-d’œuvre et d’argent.

— Ce serait bien que tu t’en charges au plus vite. C’est justement dans ce coin que je voudrais mener mes fouilles, mais ce lierre toxique…

— Ah, ce lierre, méfie-t’en, Bo. » Besand a ricané. Chaque été, Bomanz souffrait de quantité de troubles divers dus aux plantes. « Pour ce qui est de Takar…

— Je ne traite pas avec ceux qui transigent avec la loi. Ç’a toujours été mon grand principe. Personne ne vient plus m’embêter.

— Douteux, mais admettons. »

La baguette de Bomanz a frémi. « Je vais devoir aller me flanquer dans cette saleté. En plein milieu.

— T’en es sûr ?

— Regarde comme elle tressaute. Ils ont dû les enterrer dans une grande fosse.

— Pour ce qui est de Takar…

— Qu’est-ce que tu lui veux, nom d’un chien ? Si t’as envie de le faire pendre, vas-y. Laisse-moi juste le temps de trouver quelqu’un pour gérer mon commerce aussi bien que lui.

— Je n’ai envie de pendre personne, Bo. Je voulais juste te prévenir. Une rumeur court à Aviron : paraît qu’il serait un résurrectionniste. »

Bomanz en a lâché sa baguette. Il a inspiré convulsivement quelques bouffées d’air. « Vraiment ? Un résurrectionniste ? »

Le Moniteur l’a dévisagé intensément. « Ce n’est qu’une rumeur. J’en entends de toutes sortes. Je pensais que ça pourrait t’intéresser. Y a pas plus proches que nous deux dans le coin, en définitive. »

Bomanz a accepté le rameau d’olivier. « Ouais. Honnêtement, il ne m’a jamais rien laissé entendre en ce sens. Mazette ! Ce n’est pas une mince accusation. »

Une accusation qui méritait qu’il y réfléchisse très sérieusement. « Ne parle à personne de mes découvertes. Avec ce voleur de Men fu…»

Besand a gloussé de nouveau. Son hilarité prenait des accents sépulcraux.

« Tu aimes ton boulot, pas vrai ? Je veux dire tarabuster les gens qui n’oseront pas se défendre.

— Doucement, Bo. Je pourrais te traîner en interrogatoire. » Besand a tourné les talons et s’est éloigné à grands pas.

Dans son dos, Bomanz a esquissé un sourire amer. Évidemment qu’il aimait ce boulot qui l’autorisait à jouer les tyrans. Il pouvait persécuter n’importe qui sans avoir à en répondre.

 

Une fois qu’elle eut vaincu puis enterré le Dominateur et ses servants dans des tombeaux bardés de la magie la plus efficace de son temps, la Rose Blanche décréta qu’une Garde éternelle serait affectée à la surveillance du site. Une phalange qui n’obéirait à personne d’autre qu’elle-même et serait chargée d’empêcher la résurrection du mal encore vivant dans les tombes. La Rose Blanche connaissait la nature humaine. Il y aurait toujours ceux qui, espérant en tirer profit, se rallieraient au Dominateur. Ceux qui vénéraient le mal et voudraient libérer leur idole.

Les résurrectionnistes sont apparus presque avant que l’herbe ait fini de recouvrir les Tumulus.

Takar, résurrectionniste ? Bomanz a réfléchi. N’avait-il pas déjà assez d’ennuis ? Besand allait camper sur ses plates-bandes, maintenant.

Bomanz n’avait aucun intérêt à ramener à la vie les vieux démons. Il voulait seulement opérer le contact avec l’un d’entre eux pour faire la lumière sur plusieurs antiques mystères.

Besand était hors de vue. Il devait regagner ses quartiers d’un pas lourd. C’était le moment de s’autoriser quelques observations interdites. Il a rajusté son théodolite.

 

Les Tumulus n’étaient guère menaçants d’aspect, mais en piteux état. Quatre siècles d’érosion par les intempéries et la végétation avaient dégradé ce qui jadis était une merveille. De denses broussailles avaient complètement submergé les tumulus et leur aménagement paysager symbolique. La Garde éternelle n’avait plus les moyens d’assurer l’entretien nécessaire depuis longtemps. Le Moniteur Besand s’acharnait à mener contre le temps un combat d’arrière-garde.

Rien ne poussait bien sur les Tumulus. La végétation restait chétive, malingre. Pourtant elle masquait souvent les formes des tombes, des stèles et des fétiches qui claquemuraient les Asservis.

Bomanz avait passé sa vie à identifier chaque sépulture, à localiser chaque Asservi, à reconnaître le moindre menhir ou fétiche. Sa grande carte, son trésor de soie, était presque complète. Il serait bientôt en mesure de pénétrer dans le dédale. Grande était sa tentation d’essayer avant même d’être fin prêt, tant il touchait au but. Mais il n’était pas idiot. Son projet, c’était de récolter le nectar de la plus vénéneuse des plantes. Il ne devait pas commettre la moindre faute. D’un côté il y avait Besand, de l’autre la vieille et perfide calamité.

Mais en cas de succès… Ah, en cas de succès. S’il opérait son contact et soutirait les secrets… Les connaissances humaines feraient un bond gigantesque. Il deviendrait le plus puissant des mages vivants. Son renom s’étendrait à la vitesse du vent. Jasmine obtiendrait tout ce qu’elle se plaignait d’avoir sacrifié. Si il opérait le contact.

Et il le ferait, parbleu ! Ni la peur ni la faiblesse de l’âge ne le retiendraient maintenant. Quelques mois encore, et il posséderait la dernière clé.

Bomanz vivait depuis si longtemps dans le mensonge qu’il se mentait souvent à lui-même. Même dans ses moments de lucidité, il ne s’avouait jamais sa motivation profonde : son amour platonique pour la Dame. C’était elle qui l’intriguait depuis le tout début, elle qu’il voulait contacter, elle qui conférait à toute littérature ce caractère si fascinant. De tous les seigneurs de la Domination elle était la plus mystérieuse, la plus auréolée de mythes, la moins souillée par l’Histoire. Certains érudits lui prêtaient une beauté de tous temps incomparable et prétendaient qu’il suffisait de la voir pour tomber en esclavage. Certains disaient qu’elle avait été le véritable mobile de l’avènement de la Domination. Peu d’entre ces lettrés reconnaissaient que leurs documents n’étaient guère que des fables à l’eau de rose. La majorité n’en avait cure et continuait de les agrémenter. Bomanz, alors même qu’il était encore étudiant, n’avait cessé de s’en étonner.

De retour dans sa mansarde, il a étalé sa carte de soie. Il n’avait pas entièrement perdu sa journée. Il avait localisé une stèle qu’il n’avait jamais vue et identifié le charme qui s’y ancrait. Et il avait trouvé le site telleKure. Avec ça, il pourrait faire bouillir la marmite.

Il a contemplé sa carte comme si à force de volonté il allait pouvoir trouver les informations manquantes.

La carte comportait deux figures. En haut, une étoile à cinq branches insérée dans un cercle. Il s’agissait de la forme du Tumulus tel qu’il avait été construit. L’étoile avait été surélevée de deux mètres par rapport au niveau du sol et étayée par des dalles de calcaire. Le cercle représentait la rive interne d’une douve dont la terre extraite avait servi à bâtir les tumulus, l’étoile et un pentagone qui la coiffait. Aujourd’hui, la douve n’était plus que marécage. Les prédécesseurs de Besand s’étaient avérés incapables de lutter contre la nature.

À l’intérieur de l’étoile et reliant ses pointes rentrantes s’élevait un pentagone, lui aussi haut de deux mètres. Ses murs de soutènement s’étaient éboulés, mangés par la végétation. Au centre du pentagone, sur un axe nord-sud, se trouvait le Grand Tumulus où dormait le Dominateur.

À l’extrémité de chaque pointe de l’étoile, sur la carte, Bomanz avait inscrit les chiffres impairs de un à neuf. Avec chacun un nom : Volesprit, Transformeur, Rôde-la-Nuit, Tempête, Craque-les-Os. Il connaissait les occupants des cinq tumulus extérieurs. Les cinq pointes rentrantes étaient pareillement annotées de chiffres, en partant, à droite, de la base de la branche orientée vers le nord. Au numéro quatre se trouvait le Hurleur, au huit le Boiteux. Les tombes de trois des Dix qui étaient Asservis demeuraient non identifiées.

« Qui donc se trouve dans ce fichu sixième tumulus ? » a marmotté Bomanz. Il a frappé la table du poing. « Bon sang ! » En quatre ans, toujours pas le moindre indice. Le voile dissimulant son identité était l’ultime véritable obstacle. La suite ne serait qu’une mise en pratique technique : il faudrait neutraliser les sortilèges de protection et opérer le contact avec le Grand Tumulus sur le tertre central.

Les mages de la Rose Blanche avaient laissé nombre de livres exaltant leurs prouesses dans leur art, mais, sur l’emplacement de leurs victimes, pas un mot. Telle est la nature humaine. Besand se vantait volontiers de la taille du poisson qu’il avait péché, de la qualité de ses appâts, mais il était bien rare qu’il montre ses prises.

Sous le schéma de l’étoile, Bomanz en avait dessiné un deuxième figurant le tertre central. C’était un rectangle orienté sur un axe nord-sud, truffé de colonnes de symboles. À côté de chaque angle figurait un menhir. Ceux-ci, dans les tumulus, se présentaient sous forme de piliers de trois mètres cinquante de haut terminés par la sculpture d’un hibou à deux têtes, l’une tournée vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur. Ces menhirs constituaient les bornes angulaires qui délimitaient la première barrière de sortilèges protégeant le Grand Tumulus.

Le long des flancs s’égrenaient des poteaux en enfilade ainsi que de petits cercles figurant les totems magiques de bois. La plupart, pourris, étaient tombés, leurs sortilèges avec eux. La Garde éternelle ne comptait dans ses effectifs aucun sorcier capable de les restaurer ni de les remplacer.

À l’intérieur du dessin de la tombe elle-même, des rangées de symboles se succédaient en trois rectangles de taille décroissante. L’enceinte extérieure se composait de pions, puis venaient des chevaliers et enfin des éléphants. La crypte où reposait le Dominateur était cernée d’hommes qui avaient donné leur vie pour l’enterrer. Leurs fantômes formaient un rempart entre le vieux démon et ceux qui pourraient vouloir son retour au monde. Bomanz pensait pouvoir franchir ces obstacles sans trop de difficultés. Les fantômes n’étaient là, de son point de vue, que pour décourager les pilleurs ordinaires.

À l’intérieur des trois rectangles, Bomanz avait dessiné un dragon, la queue dans la gueule. Selon la légende, un grand dragon se lovait autour de la crypte, plus vivant que le Dominateur ou la Dame, et ne dormait là que d’un œil depuis des siècles dans l’attente d’une tentative de libération du mal captif.

Bomanz n’avait rien prévu pour neutraliser le dragon, mais il n’en avait pas éprouvé le besoin non plus. Il entendait communiquer avec la crypte, non essayer de l’ouvrir.

Quelle chiennerie ! Si seulement il pouvait mettre la main sur l’amulette d’un ancien garde… Les gardes d’autrefois possédaient des amulettes qui leur permettaient de circuler dans le périmètre des Tumulus pour les entretenir. Certaines amulettes existaient encore, même si nul ne les utilisait plus. Besand en portait une. Les autres, il les avait cachées en lieu sûr.

Besand. Ce cinglé. Ce sadique.

Le Moniteur était la plus proche connaissance de Bomanz – mais son ami, jamais ! Non, jamais son ami. Triste constat sur sa vie : l’homme dont il était le plus proche ne raterait pas l’occasion de le faire torturer ou pendre.

Qu’est-ce que c’était que cette histoire de mise à la retraite ? Quelqu’un s’était donc souvenu de l’existence des Tumulus, au-delà de cette vieille forêt abandonnée ?

« Bomanz ! Tu comptes manger ? »

En ronchonnant il a remballé son plan.

 

Le rêve l’a visité cette nuit-là. Quelque chose comme l’appel d’une sirène. Il était jeune de nouveau, célibataire, il flânait dans la rue où il habitait. Une femme lui fait signe. Qui est-ce ? Il ne sait pas. Il s’en moque. Il l’aime. Avec un éclat de rire, il se précipite vers elle…

Ses foulées patinent dans le vide. Ses efforts ne l’approchent pas d’elle. Elle se rembrunit et commence à disparaître… « Reste ! crie-t-il. S’il te plaît ! » Mais elle s’éclipse, emportant son soleil avec elle.

Une immense nuit sans étoile se déverse dans son rêve. Il flotte dans une clairière d’une invisible forêt. Lentement, très lentement, une forme argentée s’est profilée derrière les arbres. Une grosse étoile ornée d’une traîne argentée. Il la regarde grandir jusqu’à ce que sa queue barre le ciel.

Il éprouve alors de la perplexité. De la peur aussi. « Elle vient droit vers moi ! » Il esquisse un mouvement de recul, se protège le visage du bras. La boule d’argent emplit la voûte céleste. Elle a un visage. Un visage de femme…

« Bo ! Arrête ! » Jasmine l’a secoué de nouveau…

Il s’est assis. « Hein ? Quoi ?

— Tu hurlais. Encore ce cauchemar ? »

Il sentait son cœur tambouriner, il a poussé un soupir de soulagement. Résisterait-il encore longtemps ? Il était vieux maintenant. « Toujours le même. » Qui revenait sporadiquement. « Il était plus fort, cette fois.

— Peut-être que tu devrais voir un analyste.

— M’en aller au diable pour ça ? » Il s’est fendu d’une moue dégoûtée. « Pas besoin d’analyste, de toute façon.

— Non. C’est sans doute seulement ta conscience. Qui te punit d’avoir forcé Stancil à partir d’Aviron.

— Je ne l’ai pas forcé… Rendors-toi. » À son étonnement, elle s’est retournée ; pour une fois, elle n’avait pas envie de verser d’huile sur le feu.

Il a fixé l’obscurité. Le rêve avait été si clair. Presque trop précis, trop évident. Ce conseil de ne pas s’investir dans cette affaire, s’agissait-il d’un message ?

Lentement, très lentement, la sensation du début du rêve s’est restaurée. Cet appel irrépressible. Cette impression intuitive de n’être qu’à un pas d’un grand bonheur. Il s’est senti bien. Sa tension s’est dissipée. Il s’est rendormi un sourire aux lèvres.

 

Les gardes débroussaillaient le site de Bomanz sous sa surveillance et celle de Besand. Soudain, Bomanz a largué un crachat. « Ne brûle rien, imbécile ! Empêche-le, Besand. »

Besand a secoué la tête. Le garde qui brandissait un flambeau s’est reculé du tas de bois coupé. « Petit, ne mets pas le feu au lierre. Il dégage une fumée toxique. »

Bomanz s’est gratté. Et s’est demandé pourquoi son compagnon se montrait si raisonnable. Besand s’est fendu d’un rictus. « Ça démange rien que d’y penser, pas vrai ?

— Oui.

— Voilà autre chose qui te fiche des démangeaisons. » Il a tendu le doigt. Bomanz a aperçu son rival Men fu qui l’observait à distance. Il a grogné. « Je n’ai jamais haï personne, mais il s’en faut de peu pour lui. Il n’a ni éthique, ni scrupules, ni conscience. C’est un voleur doublé d’un menteur.

— Je le connais, Bo. Tant mieux pour toi, d’ailleurs.

— J’ai une chose à te demander, Besand. Moniteur Besand. Pourquoi ne t’acharnes-tu pas sur lui autant que sur moi ? Et puis qu’est-ce que tu veux dire par ce “tant mieux” ?

— Il t’a accusé d’avoir des tendances résurrectionnistes. Lui, je ne le soupçonne pas parce que je sais que la couardise est au nombre de ses vertus. Il n’a pas le cran de se mouiller dans un commerce d’objets proscrits.

— Parce qu’il en serait autrement de moi ? Cette pourriture me calomnie ? M’accuse de crimes capitaux ? Si tu n’avais pas mon âge…

— Ça lui retombera sur le nez, Bo. Mais toi, tu as ce cran. Simplement, je ne t’ai jamais vraiment pris sur le fait. »

Bomanz a roulé des yeux ronds. « Et allez donc ! Les insinuations gratuites…

— Pas si gratuites que ça, mon ami. Je flaire un certain laxisme moral chez toi, une réticence à reconnaître l’existence du mal, ça pue comme un cadavre. Lâche-toi la bride et je te coincerai, Bo. Une crapule, aussi maline soit-elle, finit toujours par se trahir. »

L’espace d’un instant, Bomanz a cru que son monde s’écroulait. Puis il s’est rendu compte que Besand y allait au bluff. Un bluffeur dans l’âme, ce Moniteur. Ébranlé, il a répondu : « J’en ai ma claque de ton sadisme. Si tu me soupçonnais vraiment de quelque chose, tu m’écraserais comme une merde. Les procédures et vous autres gardes, ça fait deux. Je parie que tu me racontes des bobards sur Men fu. Tu flanquerais ta propre mère en cabane sur la dénonciation d’un pauvre type pire que lui. Tu es siphonné, Besand. Tu sais ça ? Malade. Ici. » Il s’est tapoté la tempe avec l’index. « Incapable de rien faire sans cruauté.

— Tu pousses le bouchon à nouveau, Bo. »

Bomanz a mis la pédale douce. À sa manière toute particulière, Besand avait fait preuve à son égard d’une certaine tolérance, comme s’il était nécessaire à l’équilibre psychologique du Moniteur. Besand avait besoin de connaître une personne extérieure à la Garde qu’il ne traitait pas systématiquement en victime. Quelqu’un dont l’immunité lui renvoyait une valorisation, en quelque sorte… Serais-je l’incarnation symbolique des gens qu’il a mission de défendre ? a ronchonné Bomanz. Ce serait la meilleure.

Cette histoire de mise à la retraite. Voulait-il en dire plus que je n’ai entendu ? Est-ce qu’il brouillait les pistes à cause de son départ ? Peut-être qu’il avait un certain flair pour démasquer ceux qui se jouaient de la loi. Peut-être qu’il voulait partir sur un coup d’éclat.

Qui allait le remplacer ? Un autre salopard qui, lui, ne se laisserait pas aveugler par la gaze que j’ai tendue devant les yeux de Besand. Peut-être un impétueux qui déboulerait comme un taureau dans l’arène. Et Takar, le soi-disant résurrectionniste… comment réagirait-il ?

« Qu’est-ce qu’il y a ? » a demandé Besand. Sa voix se teintait d’inquiétude.

« Mon ulcère fait des siennes. » Bomanz s’est massé les tempes, espérant que la migraine ne suivrait pas.

« Plante tes jalons. Men fu pourrait bien s’emparer de ton site en moins de deux.

— Ouais. » Bomanz a saisi une demi-douzaine de piquets dans un faisceau. Sur chacun, un fanion jaune. Il est allé les enfoncer en terre. D’après la coutume, la zone ainsi délimitée devenait sa concession.

Mais, si Men fu venait en maraude nocturne ou montait un autre sale coup du genre, Bomanz n’aurait aucun recours légal. Les concessions n’avaient qu’une valeur tacite, aucune juridique. Les chercheurs d’antiquités réglaient leurs comptes eux-mêmes.

Men fu ne cédait que devant la violence. Rien ne pouvait l’inciter à renoncer à ses agissements malhonnêtes.

« Ah, si Stancil était là, a murmuré Bomanz. Il pourrait monter la garde de nuit.

— Je vais lui remonter les bretelles. Ça le calmera toujours quelques jours. Alors il paraît que Stance revient à la maison ?

— Ouais. Pour l’été. On est ravis. Voilà quatre ans qu’on ne l’a pas vu.

— Un ami de Takar, je me trompe ? »

Bomanz a pivoté brusquement. « Va au diable ! Tu ne t’arrêtes jamais, hein ? »

Il parlait d’une voix sourde, vraiment furieuse, sans les cris, les jurons et les démonstrations emphatiques de ses habituelles semi-colères.

« D’accord, Bo, je jette l’éponge.

— Tas intérêt. Je te garantis que t’as intérêt. Je ne supporterai pas de te voir le tarabuster tout l’été. Je ne le supporterai pas, t’entends ?

— J’ai dit que je jetais l’éponge. »

 

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